Les participant.e.s ont été invité.e.s à explorer le sujet sous plusieurs dimensions :
– Dimension conceptuelle : qu’est-ce que le territoire?
– Dimension contextuelle : où le situer?
– Dimension théorique : que sait-on et qu’aimerions-nous savoir?
– Dimension émotive : ce qui vient nous chercher quand on en parle, nos souvenirs, notre quotidien, nos rêves par rapport au territoire.
Que représente le territoire en contexte d’autodétermination?
Un endroit qui est en nous, et qu’il faut protéger.
Un élément qui nous permettait d’être autonomes, jusqu’à ce qu’on nous mette dans les réserves. C’était nos terres, qu’on occupait et qui nous permettaient de nous nourrir.
On ne pourra pas revenir en arrière et vivre “en mode autochtone”, en tente à l'année, alors comment traiter le territoire aujourd’hui?
On serait capables de vivre dans le bois, et bien qu’on soit dépendants d’un système, serions-nous heureux de vivre en mangeant juste du poisson? Moi j’aime ça manger à la Casa Grecque! Le territoire porte des valeurs essentielles, qu'il faut entretenir. Les Allochtones nous ont fait croire que même si on a tout pour vivre, on a encore besoin de plus. On a pas besoin d'un énorme garde-robe walk-in, mais en même temps on veut pas vivre comme en 1490!
Tout le monde aime ça aller dans le bois. Pour la majorité, ça fait du bien dans leur coeur, dans leur âme, c’est ressourçant. C’est rare les gens qui sont pas relax devant un lac. La forêt, c’est un trésor mondial.
C'est quoi le juste milieu entre exploitation et respect? Les gens qui gèrent ça ne pensent pas comme moi, ils semblent être dans l'excès.
Référence au livre « Kukum » de Michel Jean
Une famille ne peut plus remonter la rivière Péribonka. Un draveur allochtone dit à la famille « Notre compagnie a acheté votre territoire » - « Mais c’est chez nous! »
« C’est un passage que j’ai trouvé marquant. Qu’est-ce qu’on fait maintenant? Le territoire, c’est ça qu’on connaissait, et ils nous l’ont enlevé. »
Pour s’autodéterminer, il faut connaître le territoire : comment favoriser cette connaissance, comment partager ce territoire et faire valoir nos droits?
Faire valoir nos droits en se réappropriant le territoire
Référence | Un nouveau type de droit de la nature : L’exemple de la rivière sacrée Whanganui en Nouvelle-Zélande
« Ko au te awa, ko te awa ko au », proverbe māori signifiant « Je suis la rivière et la rivière est moi »
« En 2017, la Nouvelle-Zélande a adopté une loi très particulière, fruit d’une longue négociation entre plusieurs instances politiques et légales, autochtones comme non-autochtones. Cette nouvelle loi, nommée Te Awa Tupua – qui renvoie à l’ « ensemble indivisible et vivant, englobant tous les éléments physiques et métaphysiques de la rivière » –, reconnaît la rivière sacrée Whanganui, longue de 300 km, comme une personne morale dotée de droits juridiquement défendables.
Par la reconnaissance de cette nouvelle entité juridique, le gouvernement a innové en matière de protection de l’environnement, tout en accordant une reconnaissance aux communautés māori. D’une part, la rivière est désormais complètement protégée, autant par la loi que par les locaux. D’autre part, cette reconnaissance fait partie des mesures de réparation du gouvernement néo-zélandais envers les Māori pour les torts subis pendant la colonisation, en leur redonnant un contrôle sur des terres volées au cours des deux derniers siècles.
Cette nouvelle loi permet donc de faire le pont entre des préoccupations sociales et environnementales de premier plan. En reconnaissant la cosmologie māori, en utilisant leurs concepts pour décrire la nature dans la loi visant à la protéger, les législateurs ont fait d’une pierre deux coups : ils protègent autant la nature que les riverains. Reconnaître les relations particulières des Māori avec la nature, c’est aussi valoriser leur culture et leur identité. L’exemple de la Nouvelle-Zélande démontre comment l’on peut balancer adéquatement intérêts économiques, sociaux et environnementaux. » (SOURCE : William Corbin, Un nouveau type de droit de la nature : L’exemple de la rivière sacrée Whanganui en Nouvelle-Zélande, L'interdisciplinaire, Numéro 17, automne 2019, Institut EDS)
Si je comprends bien, l’idée c’est d’avoir une certain contrôle sur la rivière avant que quiconque puissent la puiser, la siphonner au maximum et la détruire. On s’approprie plusieurs choses pour pouvoir protéger la terre mère.
L’idée, c’est de se donner les moyens d’avoir une force d’action, d’être capable d’être à armes égales quand il est temps de faire valoir nos droits.
L’exemple de la Nouvelle-Zélande montre bien que le droit évolue et il y a de la place pour innover. Il y a plein d’autres d’exemples de ce genre d'initiatives, souvent portées par des Autochtones. Par contre, ça prend une bonne connaissance de ce qu’on veut défendre.
En travaillant à se réapproprier le territoire, nous pourrions consolider cette connaissance.
Avant l’arrivée des colons, il existait un système de justice propre aux Innus, mais celui-ci n’a pas été considéré. Maintenant, l’idée serait d’utiliser ce qui existe du système de justice canadien pour faire exister le système innu. C’est trouver la brèche, comme ça s’est fait en Nouvelle-Zélande.
OK, ce serait donc d’arriver à nos fins en utilisant leur moyens.
Instaurer un dialogue positif entre Autochtones et non-Autochtones
Je pense que de plus en plus d’Allochtones pensent comme nous, ils deviennent écolos, ils ont à coeur la protection de la Terre.
On a des savoirs à transférer aux Allochtones, des expériences à partager (exemple : gestion des saumons etc.)
Il nous faut chercher l’équilibre, dans le système actuel : apporter notre vision et la conjuguer à la vision des autres. Ex : le système d’éducation est pensé et fait par les Allochtones. Dans toutes les sphères, (éducation, environnement, économie…) il faut mettre la saveur autochtone, et dire : chez les innus, ça se passe comme ça!
Ça doit partir de nous, plutôt que ce soit fait par les autorités allochtones. Quand on veut on peut influencer la culture allochtone. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est encourageant, comme la ville de Montréal qui propulse plusieurs initiatives visant à « autochtoniser » la ville.
Je suis d’accord qu’il faut que ça vienne de nous. Quand on apporte des projets, en sensibilisant les gens, on est capables de changer les cours d’Histoire, on peut offrir des formations. Les gens sont curieux à apprendre plus, et ça permet d’améliorer les structures existantes, et les façons de faire.
Une solution, ce serait d’avoir un réel droit de regard sur les projets développés en territoire. Être en amont dans le développement. Ça prendrait une approche avec une réelle implication des Innus, dès le début, avant de faire les dessins. Il faut qu’on soit positionnés et écoutés, et ainsi sortir de ce cercle de dépendance. Ce sera plus facile par la suite de faire valoir nos droits, se sentir autonomes, plus en confiance avec notre appartenance... Pourrait-on, aussi, trouver d'autres moyens que de bloquer une route pour se faire entendre?
Référence | Territoire wet'suwet'en : pourquoi la crise a-t-elle été si complexe à régler?
Après Oka en 1990, Caledonia en 2006 et le territorial traditionnel wet'suwet'en en 2020... Comment expliquer que les questions territoriales autochtones soient si compliquées à démêler?
Visionner le reportage vidéo
Elle existe, l’obligation de consulter. C’est assez récent, début des années 2000. Mais ça n’a pas l’air d’être suffisant car on n'est pas consultés au bon moment, ni sur les bonnes affaires, et la plupart du temps une bonne partie des décisions sont déjà prises auparavant. Donc, comment cette appropriation du territoire peut exister avant même qu’il y ait une proposition de projet? Aussi, qui prend les décisions? Qui doit s’approprier ce territoire?
On pourrait créer un groupe, dans chaque communauté, avec des membres, experts, avocats, pour que les promoteurs de projets aient quelqu’un à qui parler.
Oui, des membres, mais pas n’importe qui : des membres compétents, informés, outillés, qui prennent ça à coeur, et en qui on peut faire confiance.
Ça pourrait être des gens comme nous!
On pourrait imaginer une sorte de constitution du territoire comme référence en matière de gestion et sur laquelle pourraient travailler des groupes d’experts dans chaque communauté, et qui facilite la transparence, la modernité des valeurs et leur partage avec l’externe, pour être présents en amont et de manière efficace.
Se donner les bons outils
Référence | Exemple des normes environnementales sur les réserves
« Très concrètement, par exemple, la construction d’un nouveau quartier dans un village est très réglementé, notamment sur le plan environnemental. Il y a des normes, des procédures à suivre. En communauté, on est régis au niveau fédéral. On n'est pas obligés de suivre les règlements du Québec, qui sont pourtant poussés et favorables à de bonnes pratiques. Mais si je développe en communauté, c’est à mon bon vouloir d’appliquer ces bonnes pratiques, puisqu’il n’y a pas forcément de cadre. Les entreprises viennent et disent facilement : on va aller au moins cher, on va le faire de même, on a pas besoin de tel ou tel permis etc. Là, ça va vraiment à l’encontre de la protection de l’environnement que nous on souhaite porter comme valeur. On peut voir des ingénieurs qui décident d’installer une évacuation d’eau directement dans une rivière, sans réelle norme environnementale. C’est donc parfois contradictoire. Ça découle de la loi sur les Indiens. Il faut donc se doter d’outils, de standards, de normes : comment on gère notre territoire ici, chez nous? Ça va aussi loin que de décider des procédure pour l’implantation d’un nouveau quartier, de l’évacuation et du traitement des eaux. »
Comment se donner ces outils-là? Il y a une question de légitimité. Ça doit se faire à quelle échelle? Par communauté? À l’échelle de la nation innue? Ça nous ramène au territoire : quel territoire? C’est quoi notre territoire? Si on devait faire une constitution du territoire, ça s’appliquerait où?
Que je sois à Chicoutimi ou à Pessamit, je me sens chez moi, sur notre territoire. Je sens que je suis une fille de Pessamit, un “sous-groupe”, mais ça fait partie d’une même grosse équipe, avec les mêmes combats, même si je m’associe plus à la communauté de Pessamit.
J’ai de la misère à voir ça, la Nation innue. Je trouve ça difficile. C’est un peu du chacun pour soi, je ne vois pas beaucoup d’unité, mais c’est mon impression.
Je me reconnais comme Innu de Pessamit, mais aussi Innu en général, oui on a nos particularités mais en étant Innu, on peut dialoguer davantage et se comprendre davantage.
Moi aussi, Innu de Pessamit, et je sens que j'appartiens à quelque chose de plus grand que ça.
Pour en revenir au territoire, y'aura toujours une partie de nous qui voudra être dans le bois. Ça fait partie de nous. Nutshimit, ça veut dire « de là où je viens ». Je ne me sens pas perdue quand je suis en forêt je m'y sens bien. On vivra jamais comme avant, et c'est difficile de voir comment on va vivre le territoire dans l'avenir. Ça va demander de l'innovation de notre part.
En voyant cette carte, je me dis que ça va être compliqué d’arrimer les chefs!
C’est ça qui me fait dire que la « nation », c’est un concept difficile.
J'ai appris y'a pas longtemps que le conseil de bande n'a juridiction que sur le territoire de la réserve. Ça ne représente pas tout le Nitassinan.
Pistes de solutions
C'est plaisant de voir que d’autres personnes pensent aussi comme moi, et se posent des questions et trouvent de bonnes idées. Comment faire pour que ça devienne réalisable?
En participant à des discussions comme celle-ci, on fait déjà quelque chose, on est déjà dans l'action!
Ce que je retiens, c’est que si on travaille à rendre la société plus humaine, plus en harmonie avec la nature et son équilibre, moins capitaliste, on ira vers l’autochtonisation
Travailler plus avec le coeur qu’avec la tête, essayer de comprendre. Nos enfants et les enfants des allochtones vont être plus à l’écoute, respectueux envers l’humain, l’idée c’est de sensibiliser jusqu’à ce que ça devienne un mode de vie. C’est mon rêve. Il faut avancer, un petit pas à la fois.